« Le bon sens est la forme d’aliénation la plus répandue » Norman Frederick Simpson
Il y a des moments où la réalité est tellement atroce, que l’esprit se réfugie dans la démence. Au lieu sentir sur ses paupières peser le voile de la mort luttant avec effort aux affres du trépas que son œil perçoit encore, elle préféra que ce soit son esprit qui ne voit pas. Elle tâtonna au hasard depuis des jours sans nombre à chaque pas qu’elle faisait, elle était forcée de s’arrêter. Et bien loin de percer ce réseau d’ombres, elle pouvait à peine l’écarter. Parfois son désespoir confina à la démence. Elle s’agita, elle s’égara au sein de l’Inconnu. Toute prête de se jeter dans son angoisse immense sur le premier flambeau venu. La Foi lui tint la main en lui disant :
« -J’éclaire ! Tu trouveras en moi la fin de tes tourments »
Mais elle, la repoussant d’un geste de colère, lui a déjà répondu : « Tu mens ! »
« -Ton prétendu flambeau n’a jamais sur la Terre apporté qu’un surcroît d’ombres et de cécité »
La science, à son tour, s’avance et l’appelle. Ce ne sont entre nous que veilles et labeurs. Eh bien ! Tous nos efforts à la torche immortelle n’ont arraché que les lueurs. Sans doute, elle a rendu nos ombres moins funèbres ; un peu de jour s’est fait où ses rayons portaient ; mais son pouvoir n’allait pas jusqu’à chasser des ténèbres les fantômes qui la hantaient. Et l’homme était là, devant une obscurité vide, sans guide désormais, et tout au désespoir, de n’avoir pu forcer, en sa poursuite avide, l’Invisible à se laisser voir. Rien ne la guérirait du mal qui la possédait ; dans son âme et dans son sang, il était enraciné et le rêve divin de la lumière obsède à jamais cette aveugle-né. Qu’on ne lui parle plus de quitter sa torture. Si elle en souffrait, elle en vivait ; c’était là son élément ; Et vous n’obtiendrez pas de cette créature qu’elle renonça à son tourment. De la lumière donc ! Bien que ce mot n’exprimait qu’un désir sans espoirs qui allait exaspérant. A force d’être en vain poussé, ce cri sublime, devint de plus en plus navrant. Et quand elle s’éteindra, le vieux soleil lui-même frissonnera d’horreur dans son obscurité en l’entendant sortir, comme un adieu suprême, des lèvres de l’Humanité.
Avant ? Elodie était comme tout le monde et considérait la psychiatrie comme une discipline médicale et les hôpitaux psychiatriques comme des institutions, censées traiter et guérir des personnes malades ou fragilisées psychologiquement. Elle pensait, à tort, que les psychiatres travaillaient de pair avec les psychologues ou les thérapeutes, qu’ils écoutaient et tentaient de faire parler leurs patients, de leur redonner confiance en les suivant de près et en les revalorisant afin qu’ils se réintègrent dans la société et reprennent peu à peu le gout de vivre. Elle pensait que les médicaments prescrits aidaient les malades à se relever, à sortir la tête de l’eau dans des périodes de troubles.
En fait, c’était le pays de Bisounours ! Car elle était loin d’imaginer la sombre réalité. Et commença une période extrêmement maussade… Voici comment la « folie » est traitée dans notre société : lorsque l’ambulance la laissa entre les mains des infirmiers psychiatres, son arrivée à Apollinaire (un des secteurs de Ravenel) resta un souvenir très violent. Afin peut-être de la conditionner aux méthodes employées dans cet établissement. Sachant qu’elle fut attachée par des cordes aux pieds et aux mains dans l’ambulance qui l’amenait de Saint-Charles à l’hôpital psychiatrique. Une heure trente de trajet ! Elle avait mal partout. Une fois sur place et détachée, on l’extorqua des quelques affaires qu’elle avait. Toutes furent scrutées, inventoriées, fouillées. Quant à elle, elle fut analysée, sondée, examinée, questionnée. Plus de ceinture, plus de lacets, plus de chargeur de téléphone ou autres objets à fil menaçants… Plus d’objets tranchants tels que les rasoirs ou pinces à épiler. Plus de parfums. Plus rien !
Vous êtes fatiguée : on vous oblige à manger et à voir divers médecins. Et les questions fusent ! Puis plus rien. Elle se retrouva dans une chambre qui n’était pas la sienne, dans un pyjama trop grand pour elle, qu’elle ne se rappelait même pas avoir revêtu. Elle était enfermée pour la nuit, privée de vie et de liberté pour avoir été déprimée ou en décalage avec la société, et quelqu’un d’autre dormait déjà dans le lit voisin…
Au petit jour, quelle angoisse au réveil ! Après une nuit blanche des plus marquantes et surtout des plus ineffables, elle n’était pas au bout de ses surprises ! La personne qui partageait sa chambre était une schizophrène sévère. Virginie souffrait d’épisodes aigues psychotiques. Elle était en plein délire et en pleine hallucination. Les cheveux dressés sur la tête, muni d’un pyjama déchiré de partout, les yeux qui lui sortaient des orbites, elle lui sembla d’emblée inabordable et préjudiciable. A cause de cette maladie, Virginie était dépressive, angoissée, phobique, avait des conflits avec tout le monde, notamment avec sa famille, et surtout était devenue alcoolique ! Elle avait 44 ans et était schizophrène depuis plus de dix ans. Elle criait et pleurait. Elle pensait qu’elle était surveillée, épiée et écoutée en permanence dans sa chambre. Et elle la fouillait de fond en comble afin de trouver des caméras. Elle pensait être persécutée. Mais après s’être calmée, avoir oublié son délire de persécution et n’avoir rien trouvé dans la chambre, elle lui raconta que lorsque la maladie s’est déclarée, elle a été internée quatre fois en l’espace de deux ans :
« -De force. Les crises te mettent dans un état second, on n’est pas très conscient de ce qui nous arrive. Concrètement, la première crise, j’avais trente-deux ans. J’étais dans un environnement professionnel stressant, reconnaissait-elle. Je me suis mise à parler toute seule. Je mélangeais toutes les langues : l’allemand, l’italien, l’anglais et le français. C’était incohérent. Plus tard, j’ai eu des hallucinations auditives. J’entendais des voix. Je pensais que c’était la réalité. En ville, lorsque je me promenais les gens riaient et je pensais qu’ils se moquaient de moi. Je me suis mise à boire. Et pour finir, je ne dormais plus. »
Elodie écoutait Virginie parler avec commisération, mais surtout, elle essayait de ne pas la quitter des yeux. Un exercice un peu délicat. En effet, celle-ci gesticulait, marchait dans tous les sens. Elle ne parvenait pas à rester calme, posée et immobile. Elle avait très rapidement vécu un retrait social. Du jour au lendemain, elle n’eut plus de contact avec ses voisins, puis ses amis et enfin sa propre famille. Elle a été jusqu’à déchirer toutes ses photographies de familles, à déchirer ses vêtements. Elle passait le plus clair de son temps dans son salon, fenêtres fermées, volets clos et n’était pas présente du tout dans le cadre de la famille. Les conflits devenaient récurrents et très violents. A partir de ce moment, elle ne se rendait plus sur son lieu de travail et a commencé à avoir une inversion totale du rythme de vie. Dans la chambre 313, en sa compagnie, Elodie devait restée constamment sur le qui-vive.
Un infirmier ouvrit la serrure de sa porte de chambre et leur adjura, comme on parle à un chien, de se joindre au reste du groupe « au salon ». Soit personne pour la rassurer, ni même pour lui expliquer le fonctionnement du service. La voilà plonger dans cet univers inconnu de délires, de violences et de souffrances. Elle était terrorisée, se sentit extrêmement seule et en décalage total avec les autres patients, qu’elle fuit dans un premier temps. Elle cherchait à s’enfuir par tous les moyens mais s’était impossible ! Elle avait peur. Une angoisse terrible qu’elle ne souhaitait à personne.
Après deux premières journées passées à dormir, shootée au Valium, elle sortit enfin de sa chambre, les jambes flageolantes, afin de découvrir un milieu hospitalier un peu particulier : la faune et la flore d’H.P. français en 2019. Défoncée aux médicaments, elle avait perdu la notion du temps et avait d’abord eu du mal à croire les infirmiers lorsqu’ils lui ont annoncé la date du jour ! Les jambes défaillantes, le cœur palpitant, la voix chancelante, les yeux gonflés et encore terriblement émue d’être ainsi éloignée de ses enfants, elle s’y aventura quand même. Les murs du couloir étaient verdâtres, lugubres comme des hôpitaux-prisons, aucun cadre, mais des traces de coups et des brûlures de cigarettes partout. La plupart des patients ont été terriblement blessés par la vie, ont une sensibilité emphatique et un courage invraisemblable.
Elodie aimait les gens qui ne se posaient pas trop de questions, ceux qui tremblaient quand la nuit s’annonçait, ceux qui abandonnaient pour inlassablement recommencer, elle aimait ceux qui hésitaient, ceux qui laissaient filer avec lenteur le temps qu’ils perdraient à courir trop vite, elle aimait ceux qui pleuraient dans le noir quand les émotions remontaient trop fort, ceux qui criaient de joie, ceux qui hurlaient de douleurs, ceux qui doutaient chaque soir et espéraient chaque matin, elle aimait les gens qui se posaient trop de questions. . Et des individus en tout genre l’attendaient.
Dans la salle commune, elle tomba d’abord sur un vieillard excentrique. Cet homme parlait tout seul et collait des textes abscons sur le poste de télévision. Ses destinataires étaient Dieu, le Président de la République et les papillons. Ceci ne chagrinait pas les autres patients. Beaucoup d’entre eux étaient en chaussettes ou pieds nus. Elle ne savait pas trop ce qu’elle faisait là. Ils avaient tous les yeux rivés sur la télévision, mais ne suivaient aucun programme au préalable. Ils étaient justes là. C’était un enfer hilarant.
Puis accourut une dame assez âgée, brune aux cheveux courts, et … nue ! Intégralement nue ! Et elle courait, et elle criait. Personne n’y prêta la moindre attention. Même pas le personnel soignant… Surtout pas le personnel soignant ! Elodie eut mal au cœur et pris la première couverture venue afin de la couvrir, mais la situation s’est retournée contre elle :
« -T’es qui toi salope ?! Ne me touche pas, ne me touche pas, ne me touche pas… ». Et ainsi de suite enchaînait-elle sans se fatiguer et en se bavant dessus.
Le personnel soignant a dû intervenir, certains avec (encore) des croissants dans la bouche, pour la calmer. Elle avait bien compris qu’elle dérangeait tout le monde, ainsi que les infirmiers qui prenaient leur petit-déjeuner en salle de repos et qui l’ont remise à sa place de patiente ! Il est hors de question d’interférer dans leur travail ! Donc : il ne faut rien faire et se taire tout en prenant sur soi.
Puis elle entendit parler derrière elle. On débattait des nouveaux clips, celui d’Armin Van Buuren, notamment. Elodie adorait la pop rock, c’était son domaine. Elle se retourna et vit un groupe de jeunes hommes. L’un d’entre eux était le caïd. Il la regarda de haut en bas.
« -Tu es nouvelle ? Baisse les yeux ! », Lança la racaille vile et plèbe. Et la vermine de rajouter : « Tu as déjà envie de me sucer dès le matin, catin ?! » Il arborait des bagues à chacun de ses doigts, des tatouages partout sur le corps et jusque dans le cou. Il était vulgaire et se pensait irrésistible !
« -Désolée Capitaine, mais cette vague image me fait dégobiller !!! » lui cria-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Non, je ne suis pas encore shootée par les médocs, je ne suis pas l’ombre de moi-même, et je préférerais crever que de toucher l’intérieur de ton pantalon. Je ne suis pas encore un pantin et à la merci des infirmiers ou des tarés de ton genre. Je voulais simplement parler musique, c’est trop demander ? interrogea-t-elle la bande.
-Mais c’est qu’elle a des couilles la petite ! souligna, agacé, le chef de file. Dommage que ce soit déjà leur du petit déj. , ironisa-t-il et mis fin à la discussion. Perfidement, il se tourna vers un de « ses hommes de meute » et lui demanda de la surveiller pour lui…
Parmi les patients, certains avaient l’air parfaitement normal. Par exemple, Aimé, 23 ans, enfermé contre son gré deux semaines plus tôt après une altercation musclée avec les forces de l’ordre. C’était un jeune étudiant réunionnais, calme en apparence. Il passait ses journées à fumer des Benson & Hedges. Le reste du temps, il cherchait un moyen de s’enfuir !
Dans un Hôpital Psychiatrique, tout est minuté. Par exemple le petit déjeuner à huit heures, le déjeuner à douze heure et le dîner à 19h10, mais à 19h20, dans ce cas il est déjà trop tard ! Son premier repas s’est passé plus ou moins dans le calme. Lorsqu’il n’est plus possible de parler, ni de comprendre, quand on ne veut plus subir, alors naît la violence pour affirmer que l’on existe. Elodie eut le malheur de prendre le dernier bout de pain dans la corbeille. Un patient qui était interné depuis presque un an, se leva et s’en prit à elle :
« -Sale voleuse, rends-moi mon pain immédiatement. Tu as entendu la pouf ?! »
Une aide-soignante est intervenue promptement :
« -Bruno, tu n’es pas à la maison ici mais dans un hôpital. Tu y vis en communauté. C’est ça ou la rue ! Lâche illico ce bout de pain et rends-le poliment à la dame ! »
Bruno était un alcoolique. A cause de ce vice, il a tout perdu : son travail à l’usine, sa femme, ses enfants et sa maison. Tant que l’assistante sociale ne lui trouverait pas de logement adéquat, il demeurerait en H.P. Et la situation dure depuis un sacré moment. C’est pourquoi Bruno avait investi les lieux, s’était accaparé de la télécommande de la télévision de l’hôpital et jouait les terreurs. Néanmoins, pour ce qui est du repas, la « dinde au curry » annoncée était en réalité un triste morceau de dinde flottant à l’eau. Ce qui explique pourquoi la nuit suivante, une femme entra en force dans sa chambre. Pour lui dire : « Si tu ne me donnes pas de gâteaux, je vais me mettre à pleurer ». Elle lui donna sa réserve d’Oreo, sans broncher. Parce qu’avoir le crâne à moitié rasé fait peur, devant un tel spectacle, on n’est à la fois anxieux et épouvantée. Puis la panique la prit, le spectre de ses enfants la hantait. Ils lui manquaient tellement ! La nuit fut longue, car blanche. Le lendemain, elle n’a pas fait grand-chose à part déambuler dans les couloirs, vêtue d’un pyjama bleu. Le port de celui-ci était obligatoire, sans doute pour qu’elle ne puisse pas s’échapper ! Dans la mesure où ils lui avaient tout pris en arrivant, au moment où elle ralluma son portable, il sonna sans discontinuer ; elle n’avait pas eu l’opportunité de prévenir ses proches de son internement soudain. Enfin quelques proches, assistés du médecin l’avaient placée d’office. Ceux-ci, qu’ils aillent se faire voir…
Sa journée était rythmée par divers examens. Sang, tension, puis prises d’expédients. Nous prenons toujours notre traitement à heure fixe, toujours devant les infirmiers et en tirant la langue. Les calmants sous forme de gouttes étaient privilégiés de sorte qu’ils ne puissent cacher les pilules sous leur langue.
Elle y rencontra Johnny P. Il avait 35 ans et était bipolaire. Le trouble bipolaire, autrefois appelé psychose maniaco-dépressive, est une maladie au long cours qui entraîne des dérèglements de l’humeur. Elle peut prendre diverses formes. Dans sa forme la plus typique, elle alterne des périodes d’exaltation de l’humeur (épisode maniaque) et de fléchissement de l’humeur (épisode dépressif). Ils apparaissent majoritairement entre 15 et 25 ans et persistent toute la vie. Hommes et femmes sont touchés à part égale. Durant sa grossesse, la mère de Johnny n’avait cessé de prendre des substances illicites ou des toxiques, et s’adonnait à la boisson. Elle avait mise toutes les chances de son côtés afin « d’abîmer » son bébé ! Tandis qu’il venait s’asseoir à côté d’elle, il lui annonça d’une voix solennelle :
« - Ici, chérie, c’est comme une prison. C’est pourquoi je vais te prendre sous mon aile. Et surtout te dire qui tu peux fréquenter ou pas ! »
Selon lui, ici les gens « s’associent pour survivre ». En fait, ils s’entendaient bien. Ils fumaient leur Marlboro en lisant les poèmes qu’il écrivait dans ses périodes de bonnes humeurs. Il était persuadé d’être le nouveau Louis Aragon. Il avait toujours l’air perdu dans ses pensées, le regard vague derrière ses lunettes en écailles et il lui apprit à jouer à la belote.
Un soir, après dîner, un autre patient, Antoine, lui dit « avoir quelque chose de très important à lui confier », mais « elle devait se préparer mentalement »… C’est alors qu’il annonça à Elodie être médium. Il lui avoua être capable de communiquer avec les esprits et les arbres ! Il ajouta qu’il était également un disciple du fils de Dieu revenu sur Terre sous la forme d’Abel, un autre jeune patient de notre service ! Elle a d’abord cru à une facétie : peut-être se fout-il d’elle ? Puis elle fut obligée de se rendre à l’évidence : il y croyait vraiment. Elle tenta alors de lui expliquer qu’il était impératif qu’il garde cette théorie pour lui s’il espérait qu’on le laisse sortir un jour.
Il arriva qu’un patient remarqua sa détresse et vint vers elle, lui parler, lui proposer de regarder les infos à la télévision avec lui. Il lui offrit des madeleines, car il avait remarqué qu’elle n’avalait rien au repas. Il lui conseilla de manger car « avec tous les médocs qu’ils nous donnent, il faut vraiment avoir quelque chose dans l’estomac ». Ils ont sympathisé, ce fut son pote, il était gentil et la rassurait. Elle avait au moins un autre allié. Lui, cela faisait des mois qu’il était hospitalisé. Il connaissait bien. Rapidement, il la mit en garde contre toute manifestation de rébellion qu’elle pouvait manifester :
« -Si tu ne te plies pas à leur règles, ils n’hésiteront pas à te mettre en chambre d’isolement et ça, c’est l’horreur. J’aimerais que tu en sois épargnée. Car ça laisse des séquelles ».
La chambre d’isolement, aussi appelée CSI (Chambre des Soins Intensifs) constituait leur menace ultime, leur moyen favori de coercition. Tous les patients en parlaient, certains clamaient avoir survécu plusieurs jours de CSI tout en traitant les médecins d’ « enfoirés », et tous la craignait comme la peste. Les hurlements et martèlements sur la porte de cette pièce lugubre leur rappelaient constamment sa présence bien réelle. Elle n’a malheureusement pas échappé à cette pratique honteuse, sortie d’un autre temps que l’on aurait cru aboli, et qui effectivement laisse des répercussions. Le principe était simple : une pièce d’une dizaine de mètres², avec un lit fixé au sol et un seau pour faire ses besoins. Une fenêtre avec barreaux que l’on ne pouvait évidemment pas ouvrir. Interdiction d’y entrer avec quoique ce soit. Pas de musique autorisée, de livre, de revue, rien ! On y rentre nue, et on nous enfile un pyjama et c’est parti pour l’enfer de l’isolement. La non-communication poussée à l’extrême. Les repas se font désormais à l’intérieur de cette cage, et si, et seulement si, on n’a pas trop tapé à la porte, on leur autorisera selon l’humeur du personnel, à fumer une cigarette, toutes les 7 heures environ. On ne sait pas combien de temps le calvaire se poursuivra. Pour Elodie, il dura 48 heures. Les pires de sa vie et de loin… Elle est arrivée à un tel niveau de détresse dans ce cachot, que là, elle souhaitait mettre fin à ses jours sans plus attendre. Mais son bas de pyjama attaché à son lit ne constituait pas une technique de pendaison optimale, apparemment. Elle a tenté de simuler une crise d’asthme pour sortir en vain… Elle dût se résigner à prendre son mal en patience, en attendant qu’on la libère. Quand ils lui ont ouvert la porte, elle était allongée sur le lit, la tête enfouie dans la taie d’oreiller, espérant abréger ainsi son calvaire. Ils ont fait un rapport sur elle, et sur ses méthodes de « provocations» ! Comment pouvait-on croire, à cette époque, que d’enfermer une personne en détresse et de la laisser seule face à elle-même, à sa tristesse, à ses angoisses, pour une durée indéterminée, pourrait améliorer son bien-être et faire partie intégrante du processus thérapeutique ? Elle ne comprenait pas … et elle était choquée et révoltée par tant de maltraitance psychologique…
Ils lui ont dit qu’elle allait devoir rester « un peu » avec eux. C’est alors qu’elle apprit que près de 12 millions de Français étaient atteints de troubles psychiques de degrés divers, soit près d’un français sur cinq. Sur les 65,8 millions de Français adultes, 18,5% d’entre eux étaient comme porteur d’un trouble psychiatrique pathologique. En 2012, 31% de Français âgés de 25 à 34 ans étaient concernés par divers degré de dépression.
Elle fut reçue enfin par un psychiatre dont elle n’a pas retenu le nom. Et pour cause ! Son médecin prônait la violence, la menace et la dévalorisation. Il s’accrochait à son maigre pouvoir en en jouissant impunément. Il prenait un malin plaisir, clairement perceptible, à la voir dévier du règlement pour mieux la punir ! Pour lui, le cas par cas, n’existait pas. Seules régnaient les règles, l’autorité et la discipline. Ses gens-là étaient aux yeux d’Elodie des tortionnaires ou au mieux des idiots sans cœur ! Ils ne l’écoutaient pas, la maltraitaient et l’infantilisaient. Le psychiatre lui a fait beaucoup de mal.
Elle s’entretint avec une infirmière sur la probable durée de son séjour :
« -Vous avez un nouveau traitement, l’informa-t-elle. Il faut attendre au moins une semaine voire dix jours, pour savoir comment vous réagirez. On ne pourra pas vous laisser sortir avant. Vous êtes sous la responsabilité de l’hôpital d’Apollinaire, si on vous laisse sortir et qu’il vous arrive quelque chose à l’extérieur, nous serions tenus pour responsables ». En somme une histoire de responsabilité, dans laquelle chacun cherche à se protéger. Euh ! Mais la patiente, dans cette histoire, cherche-t-on à la protéger nonobstant ?
Elle resta beaucoup plus longtemps à l’hôpital, loin des trois jours initialement prévus. Et elle n’eut de cesse d’exprimer son désaccord vis-à-vis de cette hospitalisation non justifiée.
Quand ils ne les enfermaient pas, ils les shootaient. Le terme semble exagéré ? Certainement pas. Dès le deuxième jour de son hospitalisation, elle ne contrôlait plus sa mâchoire, bavait et avait du mal à s’exprimer. « Ne vous inquiétez pas ce sont les effets secondaires… On va vous donner un autre médicament pour les calmer ». Pas la peine de contester, de refuser ou de recracher un traitement. Ils vous l’administreront coûte que coûte par injection si besoin, après avoir appelé « l’équipe de renfort » qui se fera une joie de vous attacher, de vous déshabiller et de vous piquer les fesses. Jamais elle ne s’est sentie aussi shootée. Dans un espèce de brouillard constant, très souvent fatiguée, dans le gaz total. Incapable d’organiser ses idées, d’écrire (à un juge des libertés, procureur de la République ou autre, pour contester le bien–fondé de son internement, par exemple) et de se sentir maître de sa personne. Ils lui auraient fait signer n’importe quel document, et ne se sont d’ailleurs pas privés pour le faire, encore et toujours, de protéger leur responsabilité.
Quand elle se sentait mal et que le personnel s’en rendait compte, ils leur faisaient rencontrer un psychiatre. Sorti de nulle part, encore un nouveau que l’on n’a jamais vu… Elle lui racontait une énième fois les raisons qui l’ont malheureusement amenée là. Cinq minutes d’entretien et un nouveau médicament plus tard, elle pouvait regagner sa chambre. Voilà ce sont les techniques psys des hôpitaux. Médicaments à outrance, qui soulagent incroyablement le personnel qui aimait nous savoir endormis et neutralisés. Certains patients ont du mal à se réveiller et ceci était très difficile pour les repas. Mais au moins, comme ça, le personnel était tranquille, tout le monde était content ! Sauf le patient, qui n’a plus de vie du tout, mais ça tout le monde s’en fiche…
Elodie Fournier n’est plus Elodie Fournier à l’H.P., mais la patiente de la chambre 246. Et la patiente de la chambre 246 écrivit énormément lorsque les médicaments commençaient à cesser de faire effet :
« -J’écris chez les fous, pour les fous, pour briser les a priori et les stéréotypes. J’écris pour dévoiler ce qui se cache derrière les murs de cet établissement qui effraie tant le grand public ». Elle conte son quotidien, mais aussi celui de ses amis d’infortune. Elle y décrit le plus fidèlement possible la routine et les histoires qui s’y déroulent. »
Elle pensait ne pas être dans un service adapté à sa pathologie. Elle s’est retrouvée avec des gens qui n’avaient pas conscience du réel. Pour bien faire, il y avait de tout : des anciens criminels, des pervers et des vicieux, des sans-abris, des schizophrènes, des troubles maniaco-dépressifs, des suicidaires, des séniles… Elle craint de porter longtemps les traces de son passage en psy. Voulaient-ils briser l’avenir de leurs patients à coup de neuroleptiques, en piétinant l’amour-propre qu’ils leur restaient et casser la confiance en soi qu’ils pouvaient encore avoir ?
Nath était une patiente parisienne. Elle était superbe avec ses longs cheveux noirs et ses yeux couleur azur. Cette jeune femme d’à peine 30 ans « balançait » aux psychiatres des secrets de familles. C’est pourquoi ses parents ont tout fait pour la « détruire », en disant aux psys qu’elle délirait et qu’il fallait la faire taire. Les psychiatres ont cru la famille de Nath et l’ont mis de suite en isolement, sanglée et piquée, pyjama, insultes, mise plus bas que terre. Son frère a voulu parler aux psys pour confirmer ses dires. Les infirmiers ont réfuté, désavouer ses propos et ont ajouté que les médecins ne voulaient pas le recevoir. C’est finalement un ami et un médecin généraliste qui sont parvenus à la faire sortir de là en la transférant dans une clinique privée. Elle en est sortie quinze jours plus tard mais complètement détruite.
Aussi dans ces hôpitaux, les journées sont longues. Très longues. De 8h à minuit, on ne fait rien. Les journées sont rythmées par la prise de traitements et par les repas. Elle errait dans les couloirs labyrinthiques de l’hôpital. Le reste du temps, ils fumèrent en terrasse. Elle s’isolait de temps en temps pour pleurer, dormir, écrire ou se protéger de certains patients violents ou irritants. Parfois aussi, elle écoutait de la musique, dansait er rigolait. Du moins, ce qu’elle essayait de faire ou ce que son instinct lui disait de faire pour survivre. Elle ne regrettait pas ce comportement, qui pouvait jouer contre elle, mais qui lui permit de tenir le coup et de conserver quelques souvenirs de rigolades et de complicités, qui la font rire encore aujourd’hui.
La nourriture était absolument infecte. Aucune saveur… fade à pleurer. Lors de son hospitalisation, elle perdit 10 kilos alors qu’elle était déjà en sous–poids avant son internement. Elle ne s’attendait pas à de la nourriture gastronomique quand même, mais tout de même, il y avait des limites et là elles étaient largement atteintes. Tous les patients s’en plaignaient quotidiennement : « on y est pour rien, mais si vous le souhaitez, vous pouvez le signaler par courrier au Directeur de l’hôpital ». Facile, quand on a perdu la vision et que l’on a à peine la force de tenir un stylo !
A Ravenel, tous les secteurs étaient représentés. Les patients venus de Saint-Dié venaient à Apollinaire (comme ceux d’Esquirol résidaient tous dans les 11 e et 12 e arrondissements de Paris). Et c’est sans doute le seul point qui les rapprochait, dans la mesure où toutes les pathologies étaient mélangées. C’est dire, quatre jeunes de son service avaient fait de longues peines de prisons avant d’atterrir en HP.
Elodie s’en voulait énormément dans la mesure où c’était une tentative de suicide qui l’a menée à Ravenel. A ce moment-là, elle n’a même pas pensé à ses chers enfants et au mal qu’elle leur aurait infligé si elle était parvenue à ses fins. Outre les médicaments, elle avait l’intention de se pendre dans la cave. Mais ce matin-là, son frère, qui ne venait jamais lui rendre visite le matin et sans prévenir, eut l’étrange idée de s’arrêter devant l’appartement. Elle a été surprise et n’a pas su dissimuler son effarement. Elle se sentit piégée, telle une victime d’un guet-apens du destin. Son étonnement inquiéta immédiatement son frère. « Quelque chose n’allait pas ? Que me cachait-elle ? Il lui demanda de lui préparer une infusion, juste le temps d’inspecter les lieux. Et là, le temps s’est arrêté. La vision d’horreur qu’il ne pouvait soutenir lui a rappelé ses devoirs de frère. C’est avec abjection et effroi qu’il prit de pleines mains ce qui aurait pu être l’outil d’un exécrable cauchemar. Il était à la fois dégoutté et sensible à la « maladie mentale » de sa sœur. Elle avait voulu en finir ! Et il se retourna, elle était derrière lui tenant un mug d’infusion à la menthe et au thé vert, mais la laissa inopinément choir : la vision de son frère soutenant la corde avec le nœud déjà fait, lui fit pris conscience qu’elle avait besoin d’aide et de soutien. Elodie souffrait d’une dépression, de multiples tentatives de suicide et oui il est aussi arrivé qu’elle en vienne à l’automutilation…. Et elle se retrouvait parmi les fous.
Ma chérie, ma fille, je t’ aime tellement.
Moi de même…
Très tragique!!! Avez vous rencontrer une personne ayant connu la même situation?
Bonjour Téo… comment allez-vous ?
Effectivement j’ai moi-même vécu cette situation.
Je vous souhaite de joyeuses fêtes (bien en avance)
Liloum