Le tabou du suicide
Les suicides n’intéressent personne, les gens ne veulent pas en parler. Ils ont peur qu’une simple mention dans le journal inspire dix autres morts similaires. C’est une épidémie silencieuse. Chaque génération a son tabou. Marie avait malheureusement attenté à sa vie. Abandonnée par l’homme qu’elle aimait, pourquoi vivre ? Et pour qui ? Ses proches n’ont pas compris son geste de désespoir. Ils lui en ont voulu: à quoi et à qui pensa-t-elle lorsqu’elle pris l’ensemble de sa pharmacie ? Elle voulait ne plus penser, ne plus cogiter, ne plus souffrir, s’endormir et ne plus se réveiller. Oui, son geste était égoïste. Mais, sur le moment, rongée par la douleur, elle ne voulait plus être. Le suicide, c’est la force de ceux qui n’en ont plus, c’est l’espoir de ceux qui ne croient plus, c’est le sublime courage des vaincus. Sur le moment, elle ne pensait pas être si courageuse, mais, au contraire, pleutre. Elle jugeait que la vie ne valait plus la peine d’être vécue, c’est d’ailleurs répondre à la question fondamentale de la philosophie. Mais une détresse trop grande l’a conduite au suicide, même si le suicide n’est au fond réellement qu’un appel au secours, entendu trop tard. Selon George Perros : » Le suicide, ce n’est pas vouloir mourir, c’est vouloir disparaître « . Ne plus songer à ce qu’il faisait si mal, la perte sentimentale. Comment vivre sans lui ? Comment continuer ? C’était pour elle une puissante consolation que de s’endormir pour toujours, elle aide à passer plus d’une mauvaise nuit. Aussi, par ce dernier acte, elle démontrait qu’elle pouvait une dernière fois dominer sa vie. Elle ne pouvait plus supporter le chagrin, la blessure d’amour-propre, les larmes non pleurées. Ainsi Yohann l’aurait tuer! Car le meurtre parfait est de pousser l’autre au suicide. Qui plus est, l’idée du suicide est une liberté, une tentative est une soupape, et la pulsion qui mène au suicide un acte incontrôlable précédé d’un choix. Elle n’avait effectivement plus la force de se battre, alors elle avait décidé de quitter la vie comme elle l’entendait. Qu’est-ce qu’un suicide finalement ? Son propre bourreau ou sa propre victime ? Attention il ne s’agit pas toujours de folie. Mais selon Voltaire : » ce n’est pas dans un accès de raison que l’on se tue ». Le suicide n’est pas une fin en soi. C’est la fin de soi! Marie ne voulait plus être de ce monde sans Yohann. Son geste s’expliquait par la manière dont ce malheureux l’avait jetée de sa vie. Le lâche lui envoya un SMS et bloqua ensuite Marie, qui n’eut donc aucune explication, et ne comprit pas cette rupture si soudaine et inattendue. Et accepter de vivre après ça, n’est-ce pas là une forme de suicide ? Non la possibilité du suicide procure un calme qui permet de faire front quand les nuits sont longues et douloureuses. Car la résignation est de toute façon un suicide quotidien. Elle ne pouvait se raisonner. Ses parents dormaient. Elle était seule. Personne à qui se confier. Seule avec ses idées noires. Il lui fallait en finir ! Selon Jacques Lacan: » L’amour est un genre de suicide « . Lorsque celui-ci prend fin, encore faut-il le supporter. Cela n’est pas donné à tous. Marie était faible, sensible, meurtrie. Elle n’arrivait plus à se projeter dans l’avenir. Vouloir fuir le passé c’est songer au suicide ; on ne se tue jamais à cause de l’avenir. Il n’y avait plus de demain pour elle. Kurt Cobain, lui-même, a affirmé : »Comme Hamlet, je dois choisir entre le suicide et la mort « . L’obsession du suicide hante plus de gens que l’on ne croit ! On ne voit rien du tombeau, des horreurs de la mort, mais on a le désir infini de se mêler à la tristesse attirante des choses. Une personne qui réussit son suicide est bien au-delà de la mort, car il s’est mesuré à Dieu, en choisissant son heure et a eu le dernier mot. Elle qui était d’un naturel joyeux et innocent, a été traumatisée par le message assassin, et s’est formée une carapace vide. Elle voulait simplement se soustraire à la persécution de Yohann. Le désespoir est le suicide du coeur. Le sien était brisé, avait volé en éclat. Elle s’est subitement rendue compte que sa vie ne valait plus rien. Selon Georges Bernanos, « le goût du suicide est un don, un sixième sens, je ne sais quoi, on naît avec » . Tout ce qu’elle voulait était de trouver une sortie de secours. Ce geste, néanmoins, grave est l’effet d’un sentiment que nous nommerons l’estime de soi-même, pour ne pas le confondre avec le mot « honneur « . Elle ne pensait pas agir mal. Elle voulait cesser de souffrir. Elle voulait vider sa vie de toute douleur. Elle avait reçu la vie comme une blessure et le suicide pouvait guérir sa cicatrice. Elle mena la vendetta contre le coeur et ses lâchetés, une sorte de massacre de la Saint-Valentin. Yohann l’avait lâchement éclaboussée de honte et de solitude. D’où cet instinct de mort. Roger Fournier affirme que « le suicide est un poème en un certain sens. Il paraît même que c’est une œuvre d’art « . Peu importait pour Marie, ni poème, ni oeuvre. Elle voulait mourir. Mais le suicide n’a d’avantages que s’il ennuie les autres, et notamment la conscience de Yohann. Le étant de le faire culpabiliser. Sans cela, il est vide de sens. Des millénaires de civilisation ont fait du suicide un tabou, un outrage à tous les codes religieux.: l’homme, d’ordinaire, lutte pour survivre, et non pas pour renoncer. Mais Marie avait baissé les bras. Le suicide est la réaction de l’agonie de l’enfant intérieur du corps physique. Elle avait rendez-vous avec la mort. Pour elle, c’était, certes, un acte défaitiste contre elle-même et contre la volonté de vie. Mais sa douleur était insupportable et son pire trop importante. Elle était une grande romantique, une des dernières peut-être. Selon Iloyna A: » le suicide n’est qu’égoïste ! » Il est vrai qu’à cet instant, la pulsion de mort fût plus imposante que l’amour inconditionnel qu’elle éprouvait pour ses deux enfants. Dans ces cas-là, nous ne réfléchissons guère. L’impérieux dilemme se posait à elle: le suicide ou la liberté. Maladie terrible qui se saisit surtout des âmes jeunes, telle que celle de Marie, ardentes et toutes neuves à la vie. Ce mal c’est la haine de la vie et l’amour de la mort ; c’est obstiné suicide. Mais il est lacte désespéré d’un être qui ne fait plus confiance ni aux médecins, ni à la guerre, ni aux transports, ni à la nature. Ni en l’amour. La situation devient fatale. Et Marie ferma les yeux et s’endormit. Les yeux pleins de larmes.
Bien vu!
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