La Cicatrice
La trahison est une lézarde douloureuse à vie. Elle fait plus mal que le chagrin. Parfois la souffrance prend une place si envahissante dans notre vie qu’on pense qu’elle durera toujours parce que l’on ne se souvient même plus de ce que c’est de vivre sans. Le dilemme est le suivant : tous les jours de la vie, nous avons à choisir: ou la souffrance d’aimer ou cette autre, peut-être bien pire : celle de ne pas aimer. Selon Albert Camus : »On parle de la douleur de vivre. mais ce n’est pas vrai, c’est la douleur de ne pas vivre qu’il faut craindre ». Malgré tout les souffrances ont donné vie aux plus grandes âmes , les personnages les plus éminents portent en eux des cicatrices.
La vie, « un long fleuve tranquille »??? Plutôt un long chemin de gravas pour beaucoup, accompagné de silex pour d’autres que l’on vous fait emprunter à pieds nus, d’en subir la souffrance des jours qui s’égrainent… « L’histoire d’une vie est toujours l’histoire d’une souffrance » dixit Arthur Schopenhauer. La vie de Marie avait été belle. Mais à l’époque, elle ne le savait pas. Elle n’en était pas consciente. Elle avait tout pour être heureuse. Puis du jour au lendemain, sa raison de vivre, l’ amour de sa vie s’éclipsa pour ne plus jamais revenir. Soudain, plus de repères, plus d’envie, plus rien… Et là, le risque de se perdre. Marie continue de vivre, parce que la mort n’a pas voulu d’elle. Alors elle continue de vivre. Pourquoi ? Elle ne le sais pas. Elle ne la sais plus. Elle s’est peut-être bien perdue. Quelle que soit son intelligence ou sa force, on risque tous de perdre ses marques privé de la personne aimée. Il s’en faut d’un rien pour que la raison s’égare quand on a perdu ses précieux jalons.
Elle, de son côté, continue de vivre. Elle aime de nouveau, se crée de nouveaux repères. En oublie sa vie d’avant.
Quant à Marie, elle cherche un nouveau sens à sa vie. Elle se rend compte aussi et surtout de ce qu’elle a perdu. De rencontres en rencontres, elle se morfond et se dit qu’elle est passée à côté de sa vie. Ses stigmates saignent encore plus que la plaie elle-même. Et même si les blessures se cicatrisent, les brèches continuent à grandir avec nous. Marie ne pense pas, de manière empirique, de la vie (comme Marc Levy) que « le temps ferme les blessures ». En amante malheureuse, elle souhaiterait oublier. Mais c’est au-dessus de ses forces. Le temps est un chirurgien paresseux qui laisse de profondes scarifications sur les plaies qu’il tend à refermer. Et oui, il y a des chagrins d’amour que le temps n’efface pas et qui laissent aux sourires des cicatrices imparfaites.
Même quand la blessure guérit, le souvenir demeure. « Tu est donc je suis », ceci aussi est amené à demeurer. La violence de ce temps prétentieux qui veut recouvrir les blessures, l’enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière.
Marie est irréparable, cassée à jamais, détruite de l’intérieure.
C’est important les blessures pour comprendre un individu. Chacune d’entre elles entaille l’âme jusqu’à la modeler, lui donner une forme propre. Il suffit alors d’effleurer ces cicatrices pour tout comprendre d’elle. C’est comme cela que ça se passe entre adultes, tout simplement. C’est comme ça qu’on aime quand on porte déjà quelques blessures de guerre.
Et qui peut déchiffrer les traces de l’enfant sur la peau des adultes que nous prétendons être devenus ? Qui peut lire ces tatouages visibles ou non ? Dans quelle langue sont-ils écrits ? Qui est capable de comprendre les cicatrices que nous avons appris à dissimuler ?
Puis on a tous nos entailles, nos tourments et fantômes. On vaque à nos occupations, on sourit, on fait comme si tout allait bien. On est poli avec des inconnus, on partage la route avec eux, on fait la queue au supermarché et on se débrouille pour masquer la douleur et le désespoir.
Et puis un jour le carnaval se termine, les masques tombent, et les cicatrices, béantes, se rouvrent.
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