Que pouvait-il se passer en dix jours ?

Ce qu’elle ignorait alors était qu’il embarquait le lendemain pour un séjour de dix jours aux C. Après l’Enfer, le Paradis! Enfin si l’on voulait. Il avait cruellement besoin de recul. Il lui fallait savoir ce qu’il désirait et surtout ce qu’il ne voulait plus. Et, là, elle frémit. La peur l’envahit. Et s’il ne voulait plus d’elle ? Si elle avait été à l’origine de son malheur ? Si son état de santé s’était aggravé à cause d’elle, de son absence, de son silence, de ses reproches. Car des reproches, elle lui en avait faits! Comment avait-elle pu ? C’était l’hôpital qui se foutait de la charité ! Il était irréprochable et l’attaquer comme elle l’a fait était vraiment petit. Elle se sentait toute petite.

Et ces dix jours qui devaient les séparer étaient encore plus cruels. Car elle ne savait aucunement si elle aurait encore une place dans son coeur. Elle s’en voulait tellement ! Les silences lourds entre eux ! Ces moments où les reproches battent lentement des ailes comme passeraient de mauvaises anges au-dessus de sa tête courbée. Vous savez, les reproches sont en fait un luxe ! S’attarder sur les responsabilités de chacun nous fait perdre du temps. Que de temps perdu ! Ils auraient du se focaliser sur l’instant présent.

L’âme visible de la maison, elle-aussi, semblait s’être envolée. Y. avait vendu, tout vendu. Toutes ses collections, tous ses jeux… On pouvait parlé d’âme invisible à présent. Une sorte de silence actif émanait des murs qui eux-mêmes sonnaient creux. La maison était devenue un no-mans land, un lieu de non-vie, un lieu où il n’y avait plus la moindre trace de son passage. Tout était à sa place, propre… trop! Y. semblait sourd aux appels, aux ordres et aux murmures.

Le malaise s’installa. Car qui a goûté au poison ambigu et douceâtre de la nostalgie sait qu’il ne nous lâche pas. Elle éprouvait une immense douleur, se sentait horriblement vide, sans contact avec ce qui l’entourait. Elle n’arrivait pas à se détacher de la situation de Y. Sa situation était dorénavant la sienne. Il y avait comme un nuage dans son âme , une sensation de malaise. Elle restait béate, les yeux ouverts, dans un état singulier. Elle était absente d’elle-même et se sentait horriblement loin. Aussi s’il est parfois malaisé d’oublié ce qui est arrivé, combien plus difficile est d’oublier ce que l’on espérait voir se réaliser. Et qui reste à jamais non écrit. Elle a trop longtemps prêté l’oreille aux murmures des démons. Honteuse de ce qu’elle avait fait et de ce qu’elle n’avait pas fait… Elle faisait l’expérience de la banalité de la faiblesse. A cause de nos œillères, il est malvenu de regarder autour de soi, d’avoir une vue complète de la vie ou de quoique ce soit. Mais nous pouvons voir le monde par bribes, par fragments, et les remettre dans l’ordre, avec un mouvement rapide de la tête, de haut en bas, de droite à gauche.

Elle avait les joues écarlates et se sentait défaillir, comme si elle sortait de son corps pour atteindre une vérité tout autre, celle de Y. Les mots qu’elle avait employés des mois auparavant étaient devenus des fantômes qui la hantaient et où régnait la nuit. Tout était si sombres, si incompréhensibles. Elle vivait la quintessence du malaise humain. Elle ressentait un appel émanant du plus profond d’elle-même, une sorte de sensation de manque, de malaise persistant. Lorsqu’il y a un manque, il y a privation ou absence, et l’absence de l’être aimé est à l’origine de grande souffrance. Le manque affectif allié au doute persistant la consumaient entièrement. L’esprit de Y. allait manquer à ses jours et sa peau à ses nuits. Ces dix jours constituaient pour elle un manque irrattrapable et elle en demeurera pour toujours inconsolée.

Une peur la rongeait. Celle de créer des manques qui attiseraient ses désirs et qui feraient de ses fantasmes des obsessions. En dix jours, pouvait-elle craindre de devenir folle ? Oui, elle l’aimait follement. Elle l’aimait. C’est un état de folie qu’est l’Amour. Si aimer Y. était une folie, alors elle resterait folle toute sa vie ! Mais elle était de nature généreuse, son coeur large, ouvert à une ivresse infinie. Ce qu’elle éprouvait pour lui était l’amour fou « du ver de terre pour l’étoile ». Il lui fallait un compromis avec la raison et la folie. Elle ressentait en elle la quintessence du sentiment amoureux. Une femme pouvait-elle susciter chez un homme un amour fou, pouvait-elle se faire aimer, estimer et respecter ou du moins s’en rendre digne en l’ayant autant déçu, blessé, sous-estimé ?

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